C’était hier

C’était hier, le jour qui marquait la première année écoulée sans toi. Mes souvenirs de cette journée du 8 juillet 2018 sont restés intacts et sont remontés un à un. J’ai surveillé l’heure toute la matinée avec appréhension jusqu’au moment où j’ai levé les yeux sur l’horloge. Il était 10h49. L’heure exacte de ta naissance. Mon corps n’a pas oublié lui non plus. C’était hier ce jour que j’appréhendais depuis déjà plusieurs mois. Celui du premier anniversaire de ta naissance. Et hier, j’ai pleuré. J’ai pleuré en me remémorant les deux heures que ton papa et moi avons passées avec toi, à te tenir serrée tout contre nous à tour de rôle, à profiter de ta chaleur avant qu’elle ne s’échappe, à te contempler, toi notre bébé parfait mais silencieux, à te dire qu’on t’aimait et que ce serait pour la vie malgré ton absence. J’ai pleuré en repensant au moment où nous t’avons laissée partir dans les bras de la sage-femme après ce moment à trois hors du temps en réalisant que ton petit corps ne nous appartenait plus. Et puis j’ai pleuré à chaque attention que j’ai reçue de la part de celles et ceux qui se sont souvenus et qui ont eu une pensée pour toi, pour nous, en ce jour si particulier : une bougie allumée, un bouquet de fleurs, une photo du ciel au crépuscule, un message de réconfort… Noémie est en vacances chez papi et mamie alors avec papa, nous avons passé la soirée d’hier tous les deux. Une soirée que nous avons essayée de rendre la plus douce possible, à ton image. Hier, j’ai pleuré. Mais aujourd’hui, j’ai avancé.

Je t’aime, ma toute petite fille

Les montagnes russes

« Le deuil est sauvage et imprévisible comme la météo de montagne. Et il faut l’apprivoiser. »

Extrait du film documentaire Et je choisis de vivre

« Le deuil n’est pas un état mais un processus », explique le psychiatre anglais Colin Parkes. Il est fait de ruptures, de progressions rapides et de retours en arrière. Il ne faut donc pas s’attendre à un déroulement linéaire. Il est important de le savoir, sinon on sombre dans le désespoir lorsque la douleur semble s’aggraver avec le temps, devenant encore plus pesante qu’au début. Il y a une logique derrière tout cela. La comprendre n’empêche pas d’avoir mal ; mais cela permet de donner un cadre à ce qu’on est en train de vivre. Même si on souffre, on comprend qu’on ne part pas à la dérive pour autant.

Extrait de l’ouvrage Vivre le deuil au jour le jour

Juillet pointe le bout de son nez et depuis quelques jours déjà, mon esprit comme mon corps se rappellent à moi pour me signifier que nous approchons inéluctablement du premier anniversaire d’Alice. Cet anniversaire que pourtant nous ne fêterons pas. En tout cas pas de la manière que nous aurions imaginée il y a tout juste un an. Ce début du mois de juillet va être une période difficile à passer, je le sens bien. Une certaine colère assortie d’un désagréable sentiment de jalousie se sont déjà fait une petite place en moi. Et je me surprends à en vouloir à des personnes que je ne connais pas, ou très peu, pour avoir un peu de la vie que j’aurais voulue. Je n’y peux rien, c’est purement et simplement physique. Et dépourvu de raison. Cela dit, je ne trouve rien de rationnel au fait de mourir avant même d’être né… Egalité, balle au centre. Car quand d’autres ont leur bébé dans les bras, les miens restent désespérément vides ; car quand d’autres ont la chance – inestimable – de pouvoir toucher, sentir, embrasser, caresser, bercer leur tout petit et de le voir grandir et évoluer chaque jour un peu plus, je cherche par tous les moyens à maintenir un lien avec ma toute petite Alice qui n’a pas eu le temps de grandir et dont la seule image que j’ai gardée est celle d’un nouveau-né immobile aux paupières qui ne s’ouvriront jamais sur le monde. Une image qui ne me quittera jamais plus. Le souvenir que j’en ai et les quelques photos qui m’aident à le maintenir intact sont mon trésor le plus précieux.

Alors oui, des tas de petites choses m’ont aidée et m’aident encore à accomplir mon travail de deuil et à tenir le cap depuis presque un an – comme allumer une bougie, embrasser la photo d’Alice et lui dire que je l’aime, lever les yeux au ciel pour admirer les nuages le jour et la lune la nuit, me dire que tout ce que je vis aujourd’hui n’aurait pas été si Alice avait vécu. Je n’aurais par exemple jamais eu le bonheur de rencontrer de nouvelles et belles personnes qui m’ont beaucoup apporté ces derniers mois, ou d’en (re)découvrir d’autres dans tout ce qu’elles ont eu de plus sincère et de réconfortant à m’offrir quand j’étais au plus bas. Comme je n’aurais jamais autant apprécié la chance que j’ai d’être la maman d’une petite fille aussi lumineuse, joyeuse et d’une immense gentillesse comme Noémie. Et puis il y a eu l’écriture, ma thérapie. Beaucoup moins présente qu’au début, elle reste malgré tout la meilleure manière que j’ai trouvée de faire exister Alice bien au-delà des frontières de mon cœur et elle m’aide à me libérer de certains démons.

Même si j’essaie de toujours voir le verre à moitié plein, mon optimisme et ma volonté d’avancer dans la vie ont en effet leurs limites et sont parfois en berne. Dans ces moments-là, je dévisse et c’est la chute. Je sais qu’une corde me retiendra avant d’atteindre le pied de la falaise et que je finirai par reprendre mon ascension, mais sur le moment, je ne contrôle plus rien. C’est aussi ça le deuil, avancer, puis reculer, et avancer à nouveau. Un perpétuel mouvement de va-et-vient que beaucoup de personnes endeuillées comparent à juste titre à une vague qui déferle, vous emporte et vous prive un instant de tout votre air, avant de vous laisser étendu sur le sable, vidé d’avoir lutté mais toujours en vie (après la métaphore de l’alpinisme, voici celle du surf !).

Aujourd’hui pourtant, j’ai compris qu’Alice est ma plus grande force autant que sa mort ma plus profonde blessure. Une blessure qui s’ouvrira encore parfois sans que je puisse rien y faire. Mais j’ai aussi compris que peu importe ce qui m’attend dans la vie à partir d’aujourd’hui, que ce soit les moments heureux ou les autres, le processus de deuil que je vis depuis le 8 juillet 2018 ne sera jamais complètement terminé et il fera toujours partie de moi. Et par-dessus tout, j’ai compris que ce n’était pas grave, car c’est la vie. C’est ma vie.