A vide

Le 8 mars dernier, je me suis installée devant mon ordinateur pour écrire, avec une idée bien précise du nouvel article que je voulais pour mon blog, car le 8 mars marquait la fin du huitième mois passé sans Alice. Une nouvelle étape. Mais rien n’est venu. Comme si je n’avais plus rien à dire. Comme si j’avais déjà fait le tour de « la question ». Avec l’impression que j’allais me répéter. Inlassablement. Je me suis sentie vide de mots. De quoi faire peser encore un peu plus l’absence…

Pourtant, pas un jour ne passe sans que je pense à Alice. Du moment où j’ouvre les yeux le matin à celui où je m’apprête à m’endormir, et par petites touches tout au long de la journée. Je pense à ce que serait ma vie aujourd’hui si elle était là. Je crois bien que c’est ça qui fait le plus mal. Imaginer ma vie telle que je l’avais voulue, rêvée, espérée. Celle que je m’étais préparée à avoir jusqu’à ce maudit 7 juillet où tout a basculé. L’acceptation est un bien grand mot dans ces moments-là… Accepter ce qui s’est passé, je l’ai fait. Mais accepter que ce n’est pas juste une phase, qu’Alice ne reviendra pas, jamais, c’est une autre histoire. Je vais devoir vivre avec son absence. Pas le choix. Plus facile à dire qu’à faire…

Tous les jours, je me félicite pourtant du chemin que j’ai parcouru et de la manière dont j’aborde mon deuil. Mais quand il s’agit de se projeter vers l’avenir, j’avance à reculons, partagée entre l’angoisse de la reprise prochaine de mes études (la formation en soins infirmiers étant malheureusement loin d’être un long fleuve tranquille pour les inconscients étudiants qui la suivent…), la tristesse de m’éloigner d’Alice avec le temps qui passe et l’impression désagréable qu’il arrivera un moment où je n’aurai vraiment plus rien à écrire et où Alice mourra une seconde fois. Parce que je n’aurai pas su continuer à la faire vivre comme je le fais en écrivant ces mots. Parce qu’elle fera partie du passé. Parce que les personnes de mon entourage ne sauront pas comment parler d’elle – de peur d’être maladroits peut-être ou parce qu’il n’y a pas grand-chose à dire finalement – ou n’auront tout simplement pas envie de le faire pour ne pas réveiller ma blessure ou être bousculés dans leur rapport à la mort.

Mais vous qui lisez ces lignes, proches et moins proches, sachez que rien ne me fait plus plaisir que de savoir que d’autres personnes que moi pensent à Alice, ou que d’entendre son prénom dans une autre bouche que la mienne, ou que de le voir écrit par une autre main que la mienne. Si mon intention n’est en aucun cas d’imposer mon deuil à qui que ce soit, j’ai plus que jamais besoin qu’on m’aide à me maintenir à flot et à faire exister mon DEUXIEME enfant, mon bébé qui le restera éternellement, mon étoile Alice.

Sur une autre planète

C’est là où j’ai l’impression de me trouver depuis bientôt huit mois. Les pieds certes bien ancrés dans le sol mais l’esprit ailleurs. Et pour cause. Je fais désormais partie de ceux qui ont perdu un petit morceau de leur âme quand celle de leur enfant s’est échappée tout entière de son petit corps. Certaines fois sans crier gare, d’autres fois suite à la décision déchirante de faire pratiquer une interruption médicale de grossesse, d’autres fois encore au terme d’une bataille bien trop difficile à mener contre la maladie. Peu importe, finalement. Le résultat est le même. La mort d’un tout petit ne laisse derrière elle que sidération, vide, douleur et colère. A des degrés différents et pour plus ou moins longtemps.

Jusqu’au jour où les nuages se dissipent et où vient le temps de la résilience. Mais plus rien ne sera jamais comme avant. Il m’arrive de regarder le monde s’agiter autour de moi avec la sensation que je n’en fais pas tout à fait partie. Mon esprit n’ayant de cesse de me rappeler que je suis passée du mauvais côté de la maternité. Qu’au lieu de parler d’Alice au présent, je suis devant mon écran à écrire sur sa mort. Qu’au lieu de la voir grandir, je n’ai d’elle que le souvenir de son magnifique et doux visage pour toujours endormi et que j’aime revoir de temps à autres – quand le moral me le permet – sur les quelques photos prises juste après sa naissance. Bien maigre compensation face au vide laissé par son absence… Qu’au lieu de vivre chaque jour avec elle et pour elle, je guette quotidiennement sur Instagram les publications de celles qui souffrent comme moi du manque de leur enfant pour finir la lecture de leurs textes la larme à l’œil ou le sourire aux lèvres. Parfois les deux. Je pense particulièrement à Bonjour Victor, L’Etoile Léo et Une fille d’avril qui transcendent leur douleur pour en faire de vrais bijoux d’écriture. Même si je fais preuve d’une grande défiance face aux réseaux sociaux et que je suis loin d’adhérer au fait d’y partager le moindre de mes faits et gestes, je dois avouer qu’ils ont le pouvoir de fédérer un très grand nombre de personnes autour du deuil périnatal et de la manière qu’a chacun de le vivre.

Cet article m’a d’ailleurs été inspiré par la grande déception, voire la très forte colère, que certaines mamans en deuil expriment dans des publications face à certaines personnes de leur entourage les ayant blessées en leur annonçant maladroitement leur grossesse, ou en ne faisant pas preuve d’assez de délicatesse à leur égard. La douleur encore très vive qui se dégage de ces posts ne semble pas s’être encore assez estompée (mais le sera-t-elle un jour ?) pour que toute possibilité d’acceptation et de résilience soit possible. Quand bien trop d’importance est donnée aux réactions de l’entourage, ce qui selon moi cristallise la souffrance, il n’est pas évident, voire même impossible, de trouver les ressources permettant de vivre sereinement avec son histoire. Tout n’est alors qu’une question de survie.

Je me suis toujours demandé comment j’aurais réagi à la place de ceux qui ne vivent pas directement ce deuil. Je ne suis pas certaine que j’aurais trouvé les bons mots, adopté les bonnes attitudes. La mort est un sujet qui met souvent mal à l’aise – et je n’échappe pas à la règle – ce qui est parfois source de maladresses. Du moins c’est comme ça que je m’explique les réactions inappropriées (même si je sais que le manque d’empathie peut également en expliquer certaines…). Toujours est-il que j’ai choisi de ne pas donner trop d’importance aux réactions déplacées ou aux paroles blessantes. Bien heureusement, elles n’ont pas été trop nombreuses pour moi, ce qui n’est malheureusement pas le cas pour tout le monde… Ce choix m’a aidée à avancer. J’avais touché le fond et il me fallait à tout prix trouver l’impulsion qui me permettrait de remonter à la surface. Et c’est en me raccrochant aux neuf mois de bonheur que je venais de vivre que j’ai pu reprendre mon souffle. Aujourd’hui, je respire. Autrement, mais je respire.