
Tomber enceinte d’Alice n’a pas été de tout repos. Pour bien comprendre ce par quoi nous sommes passés avec mon mari, je dois revenir quelques années en arrière.
En 2014, quelques mois après la naissance de notre première fille Noémie, nous avons fait appel à une généticienne afin de faire un point sur ma situation. En effet, je connaissais depuis toujours la probabilité que j’avais d’être porteuse de la myopathie de Duchenne car ma mère l’est. Un de ses deux frères était atteint de cette pathologie qui a entraîné son décès de manière prématurée à l’âge de 19 ans. Malgré le risque de transmettre la maladie, mon mari et moi avions décidé de laisser les choses se faire naturellement pour ma première grossesse et de ne pas se préoccuper de ce problème. La myopathie de Duchenne ne s’exprimant que chez les garçons, nous espérions que l’embryon serait de sexe féminin, ce qui a été le cas. Noémie est née en février 2014 en parfaite santé, pour notre plus grand bonheur. Depuis, elle illumine nos vies ! Si l’embryon avait été de sexe masculin, il aurait fallu pratiquer un diagnostic prénatal. S’il s’était avéré positif, mon mari et moi étions d’accord pour faire pratiquer une interruption médicale de grossesse. Je connais assez la myopathie de Duchenne pour savoir qu’elle est très invalidante pour les personnes qu’elle touche car ils sont soumis à d’intenses douleurs et ont une espérance de vie qui dépasse rarement les 25 ans. Et le pire à mon avis, c’est que cette maladie est dégénérescente.
Avant de démarrer une deuxième grossesse, nous avons donc décidé d’être raisonnables et de faire pratiquer un diagnostic pré-implantatoire précédé d’une fécondation in vitro. Ce processus prend du temps car il mobilise toute une équipe médicale et compte de nombreuses étapes. Après le passage devant une commission qui décide de la validité du dossier commence un vrai parcours du combattant. D’ailleurs, j’en profite ici pour rendre hommage à tous les couples qui doivent en passer par là pour avoir leur premier enfant et qui font souvent face à un ou plusieurs échecs avant d’y parvenir. Dans mon cas, le fait d’avoir déjà un enfant a rendu les choses plus faciles à vivre. J’ai donc dû me soumettre à toute une série d’examens gynécologiques, puis à une hyperstimulation hormonale qui permettrait le prélèvement d’un nombre suffisant d’ovocytes à féconder afin d’obtenir plusieurs embryons. Une recherche du gène de la myopathie serait ensuite pratiquée sur les embryons de sexe masculin au troisième jour de leur développement pour écarter ceux qui présenteraient la maladie. Ce processus s’est déroulé pendant de nombreux mois. Attention, la partie qui suit demande quelques connaissances en maths (donc accrochez-vous !) : sur les 20 ovocytes qui m’ont été prélevés au printemps 2017, 12 ont été fécondés, parmi lesquels 3 étaient de sexe masculin et porteurs de la maladie. Sur les 9 embryons restants (vous me suivez toujours ?), 4 ont continué à se développer normalement. Il a donc été décidé d’implanter un embryon « frais » dans la foulée, à son cinquième jour de développement. Malheureusement, la prise de sang que j’ai effectuée 15 jours après l’implantation a révélé l’absence de grossesse. Pour finir, sur les 3 embryons qui restaient, un seul a continué son développement et a donc été vitrifié pour une implantation ultérieure. Cet embryon, c’était Alice. Nous avons laissé passer l’été 2017 et l’implantation de ce dernier embryon s’est faite le 18 octobre 2017. Le 31 octobre, le résultat de la prise de sang tombait : j’étais bel et bien enceinte ! Nous n’avions pas souhaité connaître le sexe car nous voulions qu’à partir de ce moment-là, la grossesse redevienne une grossesse comme une autre. J’étais heureuse à l’idée de me dire que si tout allait bien – qu’est-ce qui pourrait ne pas aller après toutes ces péripéties ? – je n’aurais plus à repasser par tout ce processus de stimulation. Nous allions avoir notre bébé, notre deuxième et dernier enfant. Tout irait bien sans le meilleur des mondes.
La grossesse s’est très bien passée, hors mis quelques saignements à 9 semaines de grossesse qui se sont avérés sans gravité. Je me suis sentie bien pendant neuf mois, je n’ai connu aucun désagrément lié à la grossesse. Mi-avril 2018, j’ai interrompu pour un an ma formation en soins infirmiers pour préparer l’arrivée d’Alice. J’ai adoré être enceinte au printemps. Les jours rallongeaient, les températures se faisaient tous les jours un peu plus douces et Alice grandissaient bien malgré un placenta bilobé qui a décidé ma gynécologue à faire pratiquer par une sage-femme un suivi par monitorings en fin de grossesse. Lundi 2 juillet, la sage-femme est venue chez moi pour pratiquer un énième monitoring. Tout allait bien. Je ne le savais pas alors, mais c’était la dernière fois que j’entendrais le cœur d’Alice battre. Vendredi 6 juillet, j’ai senti bouger Alice juste avant de m’endormir. Je ne le savais pas alors, mais c’était la dernière fois que je la sentirais. Son cœur s’est arrêté de battre entre ce moment et l’après-midi du 7 juillet. Alors que je me reposais dans mon lit, j’ai senti que quelque chose n’allait pas. Ce n’était pas comme d’habitude. Alice ne bougeait plus. J’ai tenté de la stimuler et de la faire réagir en la touchant à travers mon ventre, en lui faisant écouter de la musique et en mangeant une glace pour que le froid la réveille. Bref, j’ai tout essayé. En fin d’après-midi, nous avons décidé de nous rendre à la maternité.
Nous avons été très bien accueillis par une sage-femme qui nous a installés dans une première salle pour pratiquer un monitoring. A peine a-t-elle posé le capteur sur mon ventre qu’au fond de moi, je savais. Je savais que c’était fini. Mon mari, lui, avait je pense encore un peu d’espoir. La sage-femme s’est voulue rassurante en nous disant qu’Alice était peut-être mal positionnée. Elle a pratiqué une échographie avec un premier appareil mais là encore, aucun signe de vie n’était détecté. Nous nous sommes alors rendus dans une deuxième salle munie d’un autre appareil plus performant. Lorsque que la sage-femme est revenue avec le gynécologue de garde, ma crainte a été confirmée avant même qu’il ne pratique l’échographie. Un silence s’est installé dans la pièce, le silence le plus long et le plus lourd qu’il m’a été donné de connaître. Le médecin ne disait rien. J’ai brisé le silence en demandant s’il captait des battements de cœur. C’est là que le couperet est tombé. Je ne me souviens pas de sa phrase exacte, j’ai juste capté ces deux mots : mort fœtale. C’est à ce moment précis et pour de longues minutes que mon cerveau s’est mis en pause. Il s’est remis à fonctionner progressivement pendant les heures qui ont suivi l’annonce, jusqu’à l’accouchement. Alice est née le 8 juillet 2018, à 10h49.
Dès l’instant où je me suis retrouvée dans ma chambre de la maternité, j’ai ressenti le besoin d’écrire. Ecrire à Alice, écrire pour raconter, pour exprimer mes émotions, pour pleurer. Ecrire aussi pour ne pas oublier. Jamais. Les deux paragraphes qui suivent et que je souhaite partager ici, je les ai écrits peu de temps après ma sortie de la maternité.
Mort fœtale. Comment faire face à tant de violence dans un moment censé être l’un des plus beau de la vie ? Ce moment où l’on rencontre pour la première fois un être qu’on a appris à aimer avant même de le connaître ? Très vite, cette violence fait place à un tourbillon d’émotions qui m’emporte, balayant sur son passage la joie immense que je m’étais préparée à ressentir. Et puis les choses s’enchaînent sans que je puisse contrôler quoi que ce soit. L’idée de devoir accoucher m’effraie au plus haut point mais l’état de sidération dans lequel je me trouve m’empêche de réagir. Comment peut-on supporter d’accoucher d’un bébé sans vie ? En attendant, te savoir encore en moi me réconforte car je sais que le temps de quelques précieuses heures, tu y seras au chaud et encore reliée à moi.
Mort fœtale. Deux mots maudits à jamais gravés dans mon esprit et qui ont changé mon existence pour tout le temps qu’il me reste à vivre. Deux mots que je n’ai cessé de me répéter pendant les heures qui ont précédé ta naissance. Car oui, tu es née. Comme n’importe quel bébé en parfaite santé. Et comme pour tout accouchement, j’ai ressenti la douleur intense des contractions. Puis le moment de ta naissance est venu. C’est là que j’ai compris que nous allions être séparées pour toujours, que plus aucun lien physique ne me rattacherait à toi. J’avais envie de pleurer, de crier mon indicible peine. J’ignore d’où m’est venue la force de me ressaisir et de pousser. Ton papa m’a aidée. Énormément. Et il a été fort lui aussi. Si tu savais comme je suis fière de lui et comme je l’aime. Quelques minutes ont suffi. Je sens ton petit corps chaud se frayer un chemin vers la lumière avant d’être déposé sur mon ventre. Tu sembles dormir. Tu es belle. La sérénité que je lis sur ton visage me rassure. Tu es partie sans souffrir, juste comme ça, en fermant les yeux vers un sommeil éternel. Le bonheur que j’ai paradoxalement ressenti à cet instant précis m’aidera à continuer à vivre sans toi. Ton papa est toujours à côté de moi. Des larmes roulent sur ses joues. Il va enfin pouvoir te tenir dans ses bras. Pendant de longues minutes, nous te gardons avec nous et profitons de cet instant horrible et magique à la fois pour t’observer, te parler, te dire que nous t’aimerons toujours et que ta place dans nos cœurs est faite à jamais.
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