
Voilà deux ans jour pour jour que j’ai découvert une chose que jamais de ma vie je n’aurais pensé qu’elle me concernerait un jour : le deuil périnatal. Deux ans que ma vie a pris un tournant inattendu et tellement, tellement douloureux. Deux ans que le bébé que j’ai porté et attendu pendant neuf mois s’est tu avant même d’avoir poussé son premier cri. Deux ans qu’Alice a fermé les yeux sans même les avoir ouverts. Deux ans que j’apprends à accepter, à vivre et à aimer autrement. Deux ans aussi que l’espoir qui est censé nous faire vivre me joue des tours et change régulièrement de visage. Deux ans. Déjà. Seulement. Et pourtant les souvenirs restent si vifs.
Très vite après le décès d’Alice, comme beaucoup de parents en proie au deuil périnatal, S. et moi nous sommes accrochés à l’espoir d’avoir un jour un autre enfant, emportés par un profond élan de vie. Quand à la maternité vous vous retrouvez à devoir appeler vos proches pour leur annoncer la mort de votre bébé en même temps que sa naissance, et les pompes funèbres tout en entendant d’autres bébés pleurer dans les chambres voisines, le besoin de « contrer » la mort s’impose de lui-même. La mort qui a frappé fort, très fort, trop fort. Et beaucoup, beaucoup trop tôt. Une fois le choc passé vient le temps où l’on commence à intégrer ce qui est en train de se passer et où le processus de deuil commence à se mettre en place dans cette nouvelle réalité.
Et puis j’ai fini par comprendre des mois après que l’espoir d’une nouvelle grossesse n’était qu’un « leurre » et qu’il ne faisait que cacher la grande difficulté que je ressentais à accepter qu’Alice ne (re)vivrait jamais et qu’aucun autre autre enfant ne la remplacerait. Quand l’esprit souffre, de nombreux mécanismes de défense se mettent en place pour absorber l’onde de choc. Cet espoir a été mon principal mécanisme de défense les premières semaines et les premiers mois qui ont suivi le choc. Mais aujourd’hui, je suis beaucoup plus sereine à l’idée que ça n’arrivera pas. Et je suis persuadée que ce n’est pas ça qui m’aidera à vivre mon deuil et à vivre tout court. Ce deuil qui n’est plus aussi incisif qu’au début, avec lequel je vis depuis deux ans, que j’ai donc appris à connaître et à reconnaître, qui ne me quittera plus, et que je laisse s’exprimer quand c’est nécessaire.
La vie a tant de choses à offrir que finalement, mon seul espoir aujourd’hui est de pouvoir profiter de tous les bons moments qui s’offrent à moi pour vivre une vie la plus heureuse et apaisée possible. Certains jours restent malgré tout très difficiles à vivre lorsque le deuil se réveille et que les souvenirs refont surface. Ou quand j’imagine comment serait la vie avec Alice (j’essaie de me l’interdire mais c’est plus fort que moi). Ou encore quand Noémie met en place un petit rituel ou récite une petite prière certains soirs pour exprimer le manque de sa sœur qu’elle n’a connue qu’à travers moi et à travers ce que nous lui avons raconté des circonstances de sa mort et de sa naissance. Quand l’orage s’installe, je sais juste qu’il ne durera pas longtemps et que le meilleur moyen pour qu’il ne me dévaste pas est d’attendre qu’il passe. Quitte à en sortir trempée de larmes et le cœur déchiré. Les larmes finissent toujours par s’évaporer et la déchirure par se refermer.
Ce qui est sûr, c’est que depuis le 8 juillet 2018, Alice ne quitte jamais tout à fait mes pensées. Elle est là. Chaque jour, chaque heure, chaque minute, chaque seconde qui passent. Mes bras restent désespérément vides d’elle mais mon cœur, lui, est rempli du souvenir de son petit corps tout chaud contre le mien, de l’infinie douceur de sa joue dodue, de son odeur de nouveau-né, et surtout du profond apaisement qui se dégageait de ses traits si doux.
Deux ans d’Alice, deux ans de manque indéfinissable, mais deux ans de sa présence invisible qui ne me lâche jamais. Et juste une éternité pour l’aimer.