
Dans notre société, nous vivons souvent avec cette illusion que nous pouvons tout maîtriser doublée d’un certain sentiment de toute-puissance. C’est le cas notamment en matière de grossesse, cette période qui – grâce aux progrès de la médecine et aux nombreux moyens techniques dont nous disposons pour anticiper des problèmes et y trouver des solutions – est devenue très (voire trop) surveillée. Qui plus est, la grossesse s’apparente forcément au bonheur. Bien heureusement. Mais nous oublions que la vie nous réserve toujours de mauvaises surprises, même au moment de la naissance d’un enfant censé être l’un des plus beaux et magiques qui soient.
Difficile dans ces conditions pour les parents d’entamer le processus d’acceptation du décès de leur bébé, qu’il soit le résultat d’une IMG – ce choix forcément fait par dépit en cas de malformations importantes ou d’une pathologie gravissime et le condamnant à une fin certaine – d’une MFIU, ou d’un grave problème de santé qui survient ou s’aggrave après seulement quelques jours, semaines ou mois de vie. Très souvent, une cause est retrouvée qui explique le décès. Parfois, il faudra attendre les résultats de l’autopsie que certains consentent à faire pratiquer sur leur si petit bébé pour enfin avoir cette explication. Si elle ne change évidemment pas l’état des choses, elle peut permettre aux parents, et tout particulièrement aux mamans, d’entamer leur travail de deuil et de ne pas se sentir coupables à l’idée que leur propre corps n’a pas pu protéger leur bébé. Encore une fois, nous ne maîtrisons pas tout, la nature est ainsi faite. Mais il arrive qu’aucune explication ne soit trouvée. Pas évident alors pour les parents de s’en accommoder.
Pour ma part, le choc de l’annonce de la MFIU m’ayant mise littéralement KO psychiquement, ne pas connaître ce qui avait causé le décès d’Alice pendant les dix jours qui ont suivi sa naissance me convenait bien. De toute façon, rien, pas même une explication, ne la ferait revenir. Avec le recul, je pense que ne pas savoir permettait de mettre un voile sur la réalité des évènements. Les seuls moments où je réalisais vraiment ce qui venait de se passer et ce que cela impliquait pour moi et pour notre projet de vie à mon mari et à moi, c’était lorsque je racontais ce que nous avions vécu. Encore et encore. En détails et sans rien cacher de mes émotions.
Et puis il y a eu ce coup de téléphone de ma gynécologue le 18 juillet 2018, le jour de notre anniversaire de mariage à mon mari et à moi, comme pour me signifier que le bonheur ne pourra jamais se passer de son contraire. Elle m’a alors annoncé que j’avais développé des anticorps redoutables pour le fœtus – anticorps souvent présents dans le cadre de maladies auto-immunes de type lupus ou syndrome de Gougerot-Sjögren – car ils franchissent la barrière placentaire et s’attaquent au petit cœur du bébé. Impossible de les détecter sans la présence de certains symptômes retrouvés chez les personnes atteintes de ces maladies. Je n’ai évidemment exprimé aucun de ces symptômes. Alice est donc très probablement décédée des suites d’une myocardite inflammatoire ayant entraîné des troubles du rythme et un arrêt cardiaque. Les risques que ces anticorps provoquent ce type de problème chez le bébé sont de l’ordre de 1%. Ce petit pourcent paraît si insignifiant… Mais c’est ce petit pourcent qui a engendré un cataclysme dans ma vie.
Aujourd’hui, je bénéficie d’un suivi en médecine interne afin, dans un premier temps, de déterminer si je suis effectivement atteinte d’une maladie auto-immune ou si le taux d’anticorps s’est élevé de manière isolée. Malheureusement, il est impossible de faire baisser ce taux d’anticorps mais il existe un traitement qui permet de limiter leur impact dans l’éventualité d’une nouvelle grossesse. Grossesse qui sera également étroitement surveillée afin de détecter tout problème cardiaque chez le fœtus. Il est évident que mon mari et moi avons déjà envisagé avoir un autre bébé. Cette idée est un peu comme une petite lumière qui nous attire vers elle au milieu de la nuit. Mais étant donné qu’il nous faudra repasser par un processus de PMA et de DPI (diagnostic préimplantatoire), encore un peu de temps va nous être nécessaire avant d’atteindre cette lumière et d’avoir à nouveau confiance en la vie.
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