Dire ou ne pas dire ?

A vrai dire, la question ne se pose pas, car ne pas dire serait nier la réalité, faire comme si de rien était, comme si Alice n’avait pas existé. Or elle a bel et bien existé. Pour moi, pour son papa, pour sa sœur, et pour tous nos proches. Mais d’ailleurs, pourquoi faudrait-il cacher l’existence d’un enfant, si courte fut-elle ? Un enfant qui n’est plus là physiquement mais qui occupe une place tellement immense dans nos vies ? Bien entendu, ce n’est sûrement pas la première chose que je dis sur moi pour me présenter. Pas besoin non plus de le dire aux personnes que je côtoie dans ma vie quotidienne. « Bonjour, madame la boulangère ! Une baguette, s’il vous plaît. Au fait, il y a 7 mois, j’ai accouché d’un bébé qui est mort à 6 jours de mon terme ». De quoi plomber l’ambiance… Non, je parle ici des personnes avec qui je sympathise mais qui ne connaissent rien de ma vie « d’avant », qui ne m’ont pas connue enceinte et ne savent rien de notre histoire. Rien d’Alice. Le fait d’être devenue une mamange n’est certes pas la seule chose qui me définit mais cela a profondément changé ma vision des choses. C’est la raison pour laquelle j’ai envie que les autres sachent, afin qu’ils puissent mieux me connaître et me comprendre, ou du moins essayer de le faire. Je ne recherche pas spécialement de l’empathie de la part des autres. Je ressens juste le besoin de partager avec eux cette part de mon histoire de vie. Même si je sais qu’ils risquent d’être secoués, surtout ceux qui ont eux-mêmes des enfants et qui, l’espace de quelques secondes, s’imagineront dans ma situation. Égoïstement, leur peine me fait du bien. Sûrement parce que c’est dans ces moments-là que les notions d’humanité, d’altruisme et de bienveillance prennent tout leur sens.

Mais si à la question « dois-je en parler ? », ma réponse est indéniablement « oui », d’autres questions, toujours les mêmes, me viennent à l’esprit quand je commence à tisser des liens avec d’autres personnes. A quel moment leur dire ? Comment ? Quelles vont être leurs réactions ? Quelle va être la mienne ? Et quoi dire exactement ? Alors que je suis la première concernée par la mort de mon bébé, je me soucie toujours des autres que je ne souhaite ni choquer, ni blesser avec ces quelques mots si violents pour l’imaginaire collectif : « Mon bébé est mort. » Signe que dans notre société, il est purement et simplement inacceptable qu’un bébé meure. Et il est encore plus difficile de concevoir qu’on puisse en parler. Et pourtant… Comme je l’ai lu dans un article sur la mort périnatale et d’un jeune enfant (référencé ici), pas un mortel ne peut se garder de la mort. Mettre un voile sur cette réalité, aussi triste qu’elle soit, ne changera en rien le cours des choses. Je trouve au contraire qu’on se doit d’accepter que la mort fait partie de la vie. L’une ne va pas sans l’autre. Sans jours de pluie, les jours de beau temps n’auraient pas la même saveur. Mais quand je me décide à parler d’Alice à quelqu’un, j’essaie de trouver le moment le plus opportun pour le faire et pour dire que j’ai récemment perdu un bébé en fin de grossesse (même si, comme le dit la maman de Juliette sur sa très belle page La tête dans les étoiles, je n’ai pas perdu mon bébé, NON, il est simplement MORT…) Le plus souvent, c’est quand on me demande ce que je fais dans la vie et que je réponds que je m’occupe de ma fille de presque 5 ans. Je vois souvent l’étonnement dans les yeux de celui ou celle qui m’a posé la question. « Euh, sa fille de 5 ans ? Je ne vois pas vraiment de raison de rester à la maison pour s’occuper d’un seul enfant de cet âge… » (ceci dit, les mamans qui font ce choix n’ont pas de leçon à recevoir. Et je peux vous assurer que s’occuper d’un seul enfant à plein temps est déjà chronophage !) Je leur sers alors mon petit discours bien rôdé pour expliquer que l’année dernière en avril, j’ai interrompu pour un an ma troisième et dernière année d’études en soins infirmiers pour terminer sereinement ma grossesse et pouvoir m’occuper de ma deuxième fille Alice pendant les neufs premiers mois de sa vie. Oui mais voilà, il n’y a pas de bébé à la maison, ce qui explique que je me consacre à ma première fille avant la reprise de ma formation en avril 2019. J’aurais pu chercher un poste d’aide-soignante en attendant. J’y ai d’ailleurs sérieusement pensé. Mais avec une motivation proche de zéro… Je me suis donc rendue à l’évidence : j’avais encore besoin de temps pour reposer mon âme blessée et pour prendre soin de moi avant de pouvoir de nouveau prendre soin des autres.

Dire, c’est aussi faire vivre l’enfant qui n’est plus. Entretenir sa mémoire. Une manière pour nous, parents orphelins, d’avancer sur le chemin du deuil. Et une fois le silence brisé, on reçoit tellement en retour. La parole fait place au partage, à l’écoute et à beaucoup d’entraide. Alors pour tout ça, et aussi pour tout ce qu’ils nous inspirent, merci à nos bébés des étoiles.

Une réflexion sur “Dire ou ne pas dire ?

  1. Merci pour ces mots, qui, encore une fois, résonnent énormément en moi…
    Le dire oui mais quand ? Comment ? C’est difficile mais pourtant c’est notre vie. C’est dur à accepter, c’est pourtant la réalité…
    Douces pensées à ta petite Alice qui te donne cette force incroyable 😘

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